Aujourd’hui, dans une société consumériste telle que la nôtre, les objets sont très présents dans notre quotidien, dans notre imaginaire, dans notre histoire de vie.

 

Notre rapport aux objets

Les objets nous entourent et font partie de notre univers matériel et mental, par leur présence et par ce que nous déposons de nous en eux. Nous sommes tellement proches de nos objets qu’ils deviennent des interlocuteurs familiers, nous les personnalisons, nous sommes habitués à ce qu’ils nous « servent » correctement et avons du mal à vivre leur défaillance.

L’événement d’une voiture qui ne démarre plus n’est pas seulement concrètement un frein aux déplacements. C’est aussi vécu comme une défaillance personnelle, une incompréhension, voire un sentiment de perte : ça ne devrait pas arriver ! Nous allons faire réparer notre véhicule par un garagiste, comme quand nous allons chez le médecin faire soigner notre corps. De même, nous nous adressons à l’ordinateur, nous nous mettons en colère contre lui en cas de panne, de lenteur, comme s’il était une personne ! Oubliant que c’est un amas de matériau et une technicité. Nous vivons sa faiblesse comme une atteinte personnelle, comme si c’était notre propre faillibilité. Le téléphone portable est devenu en très peu de temps un objet très investi, qui a su se rendre indispensable dans beaucoup de domaines, au quotidien. Un tel support de vie qu’on se demande souvent comment on a pu vivre sans, pourtant il n’y a pas si longtemps.

Nous savons que la façon dont nous aménageons notre lieu de vie est le reflet de qui nous sommes à l’intérieur, de notre univers mental. L’agencement, le décor sont directement issus de nos choix conscients et inconscients, de nos désirs d’être du moment.

Les vêtements sont particulièrement investis, ils participent à notre identité. Nous choisissons de nous présenter avec tel vêtement, qui correspond à l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes et à ce que nous voulons montrer de nous à ce moment-là. Le vêtement « colle » à notre peau, au sens propre et au sens figuré.

Certains objets sont particulièrement chargés en souvenirs. Ils sont des symboles, chargés d’une énergie : un bijou contient en lui l’intention, la valeur affective du lien ou de la personne, dans la circonstance où il a été donné ou porté. Par exemple, porter la chevalière de son grand-père n’est pas anodin et on se posera la question de la valeur symbolique de cette bague, de l’attachement à celui qui l’a portée, de ce que l’on souhaite reproduire ou faire vivre de lui, en nous, de la loyauté qui nous lie à lui.

Dans une séparation de couple, les objets sont partagés. Ceux qui ont été achetés ensemble, symboles de la relation passée, font l’objet de discussions. Des blessures peuvent se réveiller si l’on ne peut pas garder tel objet auquel on tenait, croit-on, plus que l’autre, et que l’on estime légitime de conserver plutôt que l’autre.

Au contraire dans certains cas, les objets, sont rejetés, deviennent insupportables, représentent un passé dont on ne veut plus la trace sous nos yeux. En cas de deuil non accepté, certains ne changent rien à leur décor, comme pour garder longtemps le souvenir de la personne, comme si modifier le décor allait accentuer la peine, la perte.

Les objets nous parlent et nous parlons aux objets. Nous prenons soin d’eux et avons de la peine s’ils sont cassés, blessés. Nous pouvons pleurer pour un objet perdu, brisé, volé.

Le lien au monde

Nos objets nous représentent, ils sont notre lien avec le monde : notre décor intérieur nous permet de recevoir nos amis, nos vêtements nous socialisent, avec notre voiture nous nous déplaçons, l’ordinateur nous ouvre les portes du monde entier en quelques secondes (world wide web).

Ils sont nos relais, nos objets transitionnels. Sans eux, nous serions réduits à un minimum d’interactions avec le monde environnant. Ils nous permettent de créer du relationnel, des échanges. Les échanges sont matériels, avant d’être abstraits. On partage un repas, un verre et à cette occasion là, on discute, on partage nos pensées, nos idées.

Ainsi, nous avons besoin de tel objet près de nous, qui nous rassure, qui nous sécurise, qui nous permet de nous sentir à l’aise pour agir. Tel objet fétiche est déposé dans le sac à main et on se sent perdu si on l’a oublié. Tel autre est posé sur notre table de chevet et sa présence, comme s’il veillait sur nous, nous permet de mieux nous endormir.

L’objet nous prolonge, il nous permet d’aller plus loin, de mieux travailler, de sortir du déterminisme naturel. Il nous permet de vivre plus longtemps, d’augmenter nos potentiels. L’objet est indispensable à notre épanouissement d’être humain.

Ce fait n’est pas nouveau, et les archéologues étudient la spécificité de certains objets retrouvés sur les champs de fouille, qu’ils ont classés comme objets de culte. Ce sont des objets possédant certaines caractéristiques montrant qu’ils ont accompagné des cérémonies, des rituels, donc qu’ils étaient investis d’une autre fonction que purement utilitaire.

L’homme a cherché à se protéger contre un environnement qui pouvait être dangereux, en attribuant certains pouvoirs aux objets. Il s’est élevé au-dessus de sa condition première, à l’aide des objets qu’il a fabriqués, outils ou objets de rituels, pour conquérir une plus grande liberté sur son environnement.

Les hommes-machines

Le sujet des robots, des hommes-machines, est actuellement très sensible. Des peurs sont à l’œuvre, comme chaque fois qu’un nouveau progrès technique se répand. Et si nous allions être déshumanisés par l’arrivés de l’Intelligence Artificielle ? Et si nous allions perdre notre libre arbitre, notre maitrise du monde, notre suprématie ? Et si nous allions être dépassés, gouvernés mondialement un jour par des robots ?

L’homme en fait rend humain tout ce qu’il touche, tout ce qu’il fait. Il prête à l’objet, à la technique, des intentions, des pensées, comme celles d’un autre être humain. L’homme étend son influence autour de lui, dans les objets qui l’entourent. Ainsi une technique nouvelle est absorbée, humanisée, assimilée, devient un prolongement de la manière d’être humain et ne fait plus peur. Il en a été ainsi du téléphone, de l’électricité, du cinéma, par exemple. Chaque fois le progrès et les nouveaux objets sont source de frayeur, on leur attribue un pouvoir malfaisant, qui va détruire l’humain, le dépasser. Puis les objets deviennent familiers, sont intégrés, rendus accessibles, agréables, sources de nouvelles expériences, bien humaines !

Le robot sera de la même façon intégré à notre vie.

Sommes-nous esclaves des objets ?

Nous avons donné plusieurs exemples qui montrent à quel point l’objet nous oblige, par sa présence, à lui donner beaucoup de temps et d’attention. Sommes- nous alors esclaves de ces prolongements de nous ? De notre portable, de notre ordinateur, par exemple ? Sont-ils devenus aussi indispensables que l’air que nous respirons ?

Bien sûr, il faut apprivoiser un peu ce sentiment de besoin de l’objet, de façon à se libérer de l’emprise éventuelle. Mais l’objet, lui, n’y est pour rien.

Des comportements excessifs et d’addiction sont le propre de l’humain. Le plaisir immédiat procuré par les objets (exemple : l’utilisation du sms peut être une addiction, celle du lien à l’autre qui doit être permanent) semble parfois être reproduit incessamment.

Il faut apprendre à prendre du recul, faire des journées sans objet, consacrées à la contemplation de la nature, ou autre. Chacun doit trouver son point de liberté, qui permet l’équilibre entre le matérialisme et la liberté d’être.

Conclusion

Les objets ne sont pas neutres car nous les investissons de nos affects, de notre mémoire, de nos secrets. C’est le pouvoir que nous leur attribuons qui fait d’eux des alliés pour notre existence. Et nous devons être conscients de la place qu’ils occupent, de façon à rester à bonne distance et maîtres de leur usage, de façon à ce qu’ils soient des supports et non une source d’esclavage.