Rendre un téléphone récupéré dans un taxi se présente comme un acte désintéressé pour Alice. Mais quand l’appareil, la destination qu’il lui indique et la personne qu’elle y rencontre font tant écho en elle qu’il lui devient difficile d’entendre sa propre voix, la jeune fille ne peut décemment pas repartir sans faire revenir le calme dans sa vie. Le remous des vagues n’est pas inclus dans le programme.

De si beaux horizons : résumé

« Sur la banquette d’un taxi, Alice trouve un téléphone portable. Elle le glisse dans son sac, puis l’oublie. Quelques mois plus tard, lorsqu’elle retombe sur l’appareil, elle décide d’aller enfin le rapporter à son propriétaire. La jeune femme se rend sur l’île de Noirmoutier. C’est dans une petite maison aux volets prune, balayée par les vents marins, qu’elle se retrouve face à Yvette. Le téléphone appartenait à Célia, sa petite-fille récemment décédée. La vieille dame, très perturbée par ce deuil, prend Alice pour sa chère Célia. Émue, la jeune femme joue le jeu et, s’installe chez cette mamie qui lui rappelle sa propre grand-mère, disparue peu de temps auparavant. C’est dans la douleur de leurs pertes respectives qu’Alice et Yvette voient leurs destins se mêler. Pour chacune, c’est le moment de se souvenir. Pour mieux se reconstruire et revivre enfin. »

De si beaux horizons, Coralie Caulier, City éditions, paru le 14 juin 2023, 432 pages, 19 €.

L’auteure : Coralie Caulier

Habituée des lieux, Coralie Caulier a débuté sa carrière professionnelle en tant que comédienne et s’affirme de plus en plus telle une écrivaine acharnée. Après une autobiographie et un premier roman auxquels leurs lecteurs n’ont pu qu’adhérer en majorité, son troisième bébé se veut le prolongement d’une nouvelle partagée il y a deux ans.

De si beaux horizons : mon avis

En cette ère ou le tout connecté a pris ses aises dans le quotidien de tout être normalement conditionné, le smartphone, ou téléphone gorgé de savoir, se veut un précieux commun, ou un commun précieux. Précieux car, au delà de son aspect isolé, Alice, personnage pivot de ce roman, ne voit que lui dans le taxi qui la conduit à son rendez-vous. Commun car cette même Alice réussit à oublier des semaines durant ce téléphone d’autrui devenu sien. Et bien qu’offrant généralement une multitude de directions sans pertinence véritable pour chacune d’elles, ici, cet appareil va se révéler le premier phare dans l’aventure d’Alice. Celle qui va la conduire sur l’île vendéenne de Noirmoutier, et plus précisément dans la demeure d’une grand-mère dont la petite-fille récemment disparue avait oublié, et donc laissé derrière elle, le fameux smartphone. Celui qui a su, et sans application ouverte aucune, éclairer les pas d’une Alice qui va apparaître assez semblable à son hôtesse. De tendres démons du passé venant lécher leurs espoirs présents, des amours compliquées et puis cette tentation de faire se mélanger connue et inconnue. Et si Alice acceptait de se substituer à Célia pour rendre la longueur du deuil moins pénible, et Yvette à cette grand-mère perdue par cette visiteuse pour laquelle cette dernière n’a finalement versé que peu de larmes, à son grand regret ? Comme des schizophrénies nécessaires, pour l’une comme pour l’autre.

On entre dans « De si beaux horizons » par l’intermédiaire d’Alice, mais Yvette viendra par moments s’inviter dans la narration. Un intéressant procédé qui offre au lectorat deux points de vue différents, dont l’un souvent ancré dans le passé; un terrain d’enquête où, plus qu’une énorme loupe, c’est une carte de séjour longue durée dont il faudra se doter.

En débarquant à la fois dans deux existences, l’une achevée, l’autre vivotante, Alice va se sentir poussée à lever le mystère de sa venue avec le risque, à chaque nuage de poussière soulevé, de bouleverser l’équilibre du tout. Parce que jouer le jeu d’une autre lui offre une complicité en un temps record, Alice va accepter plus d’une fois d’être confondue. Pour rendre service, par commodité, mais manipuler cette proximité avec Yvette la conduira inévitablement à tricoter son propre lien avec cette grand-mère. Une manipulation qui ne sera pas forcément totale, car Yvette n’est peut-être pas dupe. Reste que lorsqu’il s’agira de se parler les cheveux dans les yeux et l’air du large dans les poumons, ces deux-là ne feront pas semblant. Pour tous ces passages où Alice et Yvette bâtissent leur relation comme si l’on finalisait un mur à chaque coup de truelle, la part belle de l’ouvrage semblerait effectivement être faite aux bons sentiments. D’où la qualification, lue ici et là, de livre « feel-good ». Seulement, la valider serait édulcorer le ressenti global du récit. Alice, Yvette et d’autres ont leurs zones d’ombre, mais aussi leurs zones sombres. En cherchant à faire le bien, on peut arriver à en déposséder quelqu’un pour, qu’au final, personne ne sorte heureux de cette quête. En voulant une vérité enfouie, malmenée et enterrée, Alice va irrémédiablement s’exposer à des vents contraires. Ceux qui ont voulu ce sens parce que cette direction pique moins les entrailles que l’autre. À l’image de la couverture, cette sensation de bien-être pourra être éprouvée en conclusion, évidement attendue pour décider les larmes à débuter leur descente sans rappel, mais dans le cheminement du livre, il est difficile de ne pas aussi ressentir la marque de l’horreur, que ce soit dans les pensées, sentiments et actes des personnages. Comme un tourbillon. Un tourbillon qui fait se sentir vivant, oui.