Son annonce en septembre dernier sur Switch avait été considérée tel un miracle par les fanatiques du premier volet. Toutefois, Deadly Premonition 2 s’ouvrait alors à la réalité en même temps qu’à un risque : celui que l’on lui pardonne tout pour le simple fait d’exister. La tolérance se voulant un sentiment de plus en plus difficile à capter, c’est en fait le sort inverse qui semblait réservé aux nouvelles aventures de l’agent York. Ne serait-il toutefois pas préférable, tel le parfait des enquêteurs, de n’exclure aucune piste dans ses recherches afin de délivrer la conclusion la plus juste qui soit ?

 

 

Préambule : initialement, ce premier paragraphe n’avait pas lieu d’être. S’il s’impose finalement, c’est parce que Deadly Premonition 2: A Blessing in Disguise m’a fait connaître une situation inédite, celle de s’être involontairement fermé à moi pendant environ deux semaines. Et par la même occasion, ce bogue fatal m’ayant empêché de poursuivre ma partie a failli remettre en question le propos énoncé plus bas dans ce texte. Celui où je vais m’efforcer de rassembler toutes les parcelles de tolérance passées, présentes et futures de votre être pour vous mettre dans les meilleures dispositions possibles dans l’appréciation de Deadly Premonition 2. Mais peut-on, avec tout le sérieux du monde, mettre dans le même sac des choix de développement et une incompétence avérée de cette même équipe ? À moins qu’il ne s’agisse de l’épreuve ultime : savoir revenir ouvrir la porte d’un appartement dont on vous a brusquement jeté, sans possibilité d’y revenir pendant des jours, alors que la visite des lieux incitait à vous y installer. À l’heure de ces lignes, un patch correctif a été déployé et le fameux bogue fatal éradiqué (nous y reviendrons). Serait-ce là l’essentiel ?

 

Toutes les captures d’écran de cette critique ont été prises sur la version portable du jeu.

 

Deadly Premonition est un titre qui, s’il était un être humain, serait aujourd’hui quatre pieds sous terre pour délit de sale gueule non maîtrisé à temps. Au mieux, son visage serait couvert de balafres que ses joueurs, comme toutes autant de mères, continueraient malgré tout de percevoir comme le plus beau de tous.

Seul ce public aimant pouvait appeler à une suite sans être animé d’un désir malsain. Celui de mettre à terre sans avoir jamais voulu considérer, pour une conception qui se serait révélée non conforme à un regard de toute façon coincé dans son dédain.

L’approche de Deadly Premonition 2: A Blessing in Disguise n’était cependant pas évidente pour celles et ceux qui venaient d’accéder au Graal. Était-il ainsi préférable d’attendre une copie quasi-conforme du premier volet, quitte finalement à reconnaître la moitié d’un génie, ou plutôt à désirer que son créateur soit reparti d’une page à peine noircie, quitte à délocaliser les repères connus pour maximiser les chances d’être de nouveau soufflé(e) ?

Ah bon, la forme ?

À l’image du personnage de Rayman, Deadly Premonition premier du nom avait fait l’impasse sur ses articulations pour se concentrer sur ses extrémités, ou le cœur de son propos si vous préférez. Ce manque de liant en avait rapidement découragé beaucoup à l’époque (saviez-vous par exemple que sur Xbox 360, à peine plus de 30% des possesseurs du jeu ont terminé l’Épisode 1 et que dans sa Director’s Cut PS3, ce taux passe à 20% et des poussières ?). Évacuons une partie de la question dès à présent pour Deadly Premonition 2 : cette suite affiche une stabilité semblable au portage Switch du premier volet, assez illogique dans le sens où le jeu tourne ici sur la machine pour laquelle il a été initialement pensé. De plus, alors qu’il n’était pas fou d’en attendre davantage, Deadly Premonition 2 n’offre pas une meilleure fluidité ni une technique répondant aux standards actuels. Comme si, à l’inverse de toutes les révisions du premier Deadly Premonition, aucun effort n’avait été consenti pour brosser les joueurs peu patients dans le sens du poil. Comme si cette suite se plaisait à imposer cette porte d’entrée que seuls les initiés seraient à même de pousser sans la moindre difficulté.

 

Mais qui est donc ce mystérieux personnage ?

 

Pour les autres, ne resterait-il qu’à se faire violence pour se projeter dans cette expérience ? Oui, mais attention. Consentir à avaler une fourchée d’un aliment rebutant ne demande pas un effort particulier, sinon celui d’un masticage en bonne et due forme suivi d’une déglutition elle aussi convaincante. Mais dans le cas de Deadly Premonition et de sa suite, persister à avancer les chaussures vissées dans le sol représente un intérêt très limité sur le long terme, surtout en restant convaincu(e) que les développeurs n’ont absolument pas maîtrisé leur sujet. Se contenter de progresser en pestant sans cesse pour tout et n’importe quoi ne sera ainsi glorieux ni pour le joueur, ni pour les créateurs du contenu. En d’autres termes, prenez le risque d’apprécier et de sourire même lorsque la balade vous imposera des branchages sur la figure. Le jeu vous le rendra bien la plupart du temps.

Les monologues du zinzin

Il n’est évidemment pas scandaleux de se lancer dans l’aventure sans avoir touché à Deadly Premonition premier du nom (un portage cabossé est disponible sur Switch, la version originale Xbox 360 demeurant la plus respectable de toutes). Un bref résumé de ce dernier s’impose toutefois pour savoir dans quoi pose-t-on les pieds ici. Francis York Morgan est un agent du FBI pour le moins atypique dans la manière de mener ses enquêtes. En 2010, il débarquait dans la bourgade de Greenvale après la mort d’une jeune résidente, retrouvée éventrée et clouée à un arbre. L’agent York s’était emparé de l’affaire au nez et à la barbe des autorités locales après un lien avéré avec de mystérieuses graines rouges. Pour résumer encore plus vite, on pouvait y voir une adaptation libre et non officielle de la série Twin Peaks.

Deadly Premonition 2 invite à se glisser de nouveau dans la peau de l’agent York cinq ans plus tôt, alors qu’il s’était arrêté à Le Carré, dans l’État américain de la Louisiane, pour une halte. De nouvelles investigations ne tardent toutefois pas à s’imposer à lui avec la mort d’une jeune fille, aux membres tranchés à la hache, et la piste retrouvée d’une drogue appelée « Saint Rouge ». Le premier contact visuel post-introduction a cela de perturbant qu’il confirme un rendu sensiblement différent du premier volet, moins réaliste, moins sombre et donc fatalement, plus coloré. On se retrouve ainsi avec un simili cel-shading (des lignes noires marquant le contour des personnages) rappelant fortement D4: Dark Dreams Don’t Die, un titre signé du même créateur et sorti en 2014 sur Xbox One puis l’année suivante sur PC. S’il était confirmé que le même moteur avait été repris ici, on comprendrait alors mieux toutes les peines du monde qu’a la Switch à donner mouvement à la ville de Le Carré. Mais il est certainement encore trop tôt pour entrer dans le détail de la performance technique et même scénaristique. Pour l’heure, il semble plus à-propos de s’attarder sur le personnage qui ne vous quittera jamais : la ville en elle-même et son dépaysement de tous les instants. La surface traversable, très grande, rappelle fortement Le Vieux Carré, véritable quartier de La Nouvelle-Orléans. Même sans y avoir jamais mis les pieds, le charme ne tarde pas à s’opérer et, tout comme avec Greenvale, on finit par y trouver ses marques.

 

Veuillez noter que j’ai connu la même chose dans The Witcher.

 

Toutefois, à la différence de la bourgade citée plus haut où la pluie est synonyme d’effroi, il y a un réel plaisir à parcourir les rues de Le Carré, les environnements offrant différentes ambiances magnifiées par le temps qui passe. On joue ici dans une autre cour que Deadly Premonition, de celles où l’on se sent bien. Certes, Le Carré n’est pas très animée, mais son soleil omniprésent en journée et son thème musical à la fois lent et discret en font un terrain d’exploration très agréable. Vous devriez assez vite remarquer que le bitume des routes n’est que très peu abîmé, comme cela était le cas dans Deadly Premonition remarquez. Pour une raison que l’agent York explique très tôt, il ne se déplace désormais plus en voiture mais en skateboard. Hormis quelques soucis pas bien méchants (s’adapter à une maniabilité où l’on avance quoi qu’il arrive en appuyant sur « Haut », des collisions qui font automatiquement se retourner le personnage à 180°), ce mode de transport se révèle très souple même s’il concourt à faire chuter le nombre d’images affichées par seconde.

Jusqu’au déploiement du premier patch post-sortie, les déplacements en skateboard étaient inévitablement ponctués de monologues de York. Pas forcément inintéressants, ces derniers présentaient toutefois le défaut d’être peu nombreux et aussi, par conséquent, celui de se répéter très rapidement. Désormais, York est muet pendant ces trajets sauf si on l’autorise à informer Zach de la toute puissance des ponts. À noter que le dernier patch en date (le troisième au total) semble avoir corrigé le problème de déplacements en skateboard en diapositives… en réduisant la vitesse de la planche à roulettes. Malin.

Tribal, j’aime

L’enquête de l’agent York dans Deadly Premonition 2 va inévitablement le conduire à faire des rencontres et à découvrir des lieux, tandis que le/la joueur(-euse) familier avec Deadly Premonition s’amusera de retrouver des séquences similaires telles que le profilage et les points réguliers sur l’affaire à chaque fin d’épisode. Passages obligés du premier volet dont on aime à répéter qu’ils avaient été imposés par l’éditeur, les moments où York doit en découdre avec des antagonistes vu de lui seul sont également présents dans cette suite. Contrairement à Deadly Premonition où les « donjons » ne se ressemblaient pas, ici, ces phases se veulent très similaires entre elles. Heureusement, elles distillent une atmosphère assez plaisante grâce à la musique, encore, et également ces ennemis inquiétants même si très limités. Heureusement, la maniabilité permet de se défaire d’eux sans trop de mal et sans avoir besoin de les cibler avec précision. Malheureusement, ces séquences peuvent apparaître pénibles dès la deuxième occurrence à cause d’une errance de game design.

 

 

Ainsi, les ennemis laissent très souvent des objets derrière eux. Premier problème, on ne sait maintenant plus ce que sont ces objets qu’après les avoir récupérés. Deuxième problème, la plupart du temps, les objets amassés viennent directement se mettre dans votre sac, limité à trente places. La situation rencontrée par votre serviteur a été la suivante : je me suis rendu compte que je manquais de plus en plus de balles et que celles que je récupérais sur les ennemis ne venaient pas grossir mon nombre de cartouches. C’était en fait parce qu’elles étaient automatiquement déplacées dans les mallettes (l’équivalent des coffres des premiers Resident Evil) puisque mon sac avait très rapidement atteint sa limite. Le corps-à-corps m’a permis de survivre le temps de comprendre tout ça. L’ergonomie du menu « Sac » est également dérangeante dans le sens où il faut très souvent faire défiler une liste pour mettre en lumière l’objet désiré alors que des grilles semblables à celles du premier volet auraient été bien plus pratiques. Autre chose, si vous ramassez un objet dont vous souhaitez vous débarrasser dans la foulée, il conviendra d’aller toujours le rechercher à une place donnée et non en fin de liste. Au menu des ajouts appréciables, la capacité « Troisième œil » se régénérant avec le temps ou à l’aide d’objets permet essentiellement de localiser en une seule fois tous les objets environnants sur la carte. Carte qui par ailleurs se limite à un zoom dans les « donjons » et qui donnerait presque l’occasion de se perdre. Presque.

L’OST in tradition

Elle avait été l’un des principaux atouts de Deadly Premonition premier du nom, la bande originale est également de grande qualité dans cette suite (une disponibilité en téléchargement légal est vivement souhaitée). Outre le thème récurrent à la guitare que vous entendrez durant vos pérégrinations pédestres, un morceau enjoué style manouche accompagnera vos balades en skate. Quelques réutilisations et reprises sont au programme, et pas forcément pour le meilleur. Par exemple, la réapparition du thème « FBI Special Agent », repris tel quel, donne l’impression d’un clin d’œil et non celle d’un agent prêt à démarrer une enquête sous un soleil de plomb permanent. Les affrontements avec les animaux du Carré (chiens errants, abeilles, crocodiles) sont quant à eux illustrés par le thème… du tueur à l’imperméable. Rien de mieux pour déposséder les phases originales de leur prestance. Le doublage anglophone reste pour sa part très satisfaisant. Tout juste pourra-t-on regretter qu’un personnage connu du premier volet ait, semble-t-il, changé de voix.

 

 

Le scénario de Deadly Premonition lui avait valu des louanges, celui de Deadly Premonition 2 fait également très fort, la localisation française s’avérant par ailleurs peu reprochable. On rentre de nouveau ici dans le clan de ces œuvres rares où n’intervient pas la désagréable sensation de pouvoir prédire la suite. Malheureusement, l’expérience se veut moins immersive, et ainsi moins marquante, de par les changements apportés aux quêtes annexes. Dans le premier épisode, un menu dédié vous indiquait quel personnage était concerné par une quête et à quels passages le rencontrer. Chacun de ces protagonistes, via une méthode de tracking qui n’a étonnamment pas fait de vagues, était localisable sur la carte. Toutes ces quêtes permettaient d’approfondir la personnalité de ces PNJ (personnages non jouables) et de gagner d’utiles récompenses.

Dans Deadly Premonition 2, il est possible que la première quête annexe qui se présentera à vous soit celle où il vous sera demandé d’abattre un certain nombre de chiens errants ou d’abeilles. Oui, des missions peu palpitantes et qui pourront vous faire gagner des matériaux à utiliser dans la confection d’améliorations de statistiques. Les quêtes de personnages sont encore présentes, mais les PNJ de ce Deadly Premonition 2 sont bien moins nombreux. Des bugs de localisation pourront même vous faire perdre patience si vous cherchez à déclencher la quête de tel ou tel PNJ. Cette suite échoue donc à donner envie de s’investir dans Le Carré, d’autant que les différentes mises à jour ont, du moins en ce qui me concerne, dégradé le rafraichissement de l’image lors des déplacements en ville. Durant les phases dans « l’autre monde », des freezes de l’image permettent d’ailleurs de savoir à quel moment un ennemi apparaît. Restons sur ces séquences d’action pour souligner qu’elles finissent par devenir lassantes. Mais tout comme les « donjons » de Deadly Premonition, et en particulier les derniers, semblaient parfaitement traduire la pénibilité de la tâche de York, ces nouveaux passages ambiance tribale sont peut-être eux aussi une manière de s’approprier un effort de plus en plus compliqué à fournir pour notre agent.

Plus qu’un joueur, un investisseur

En quoi Deadly Premonition 2 mériterait-il un traitement de faveur ? Tout d’abord de par ce qu’il tente, avec un certain brio pour les aspects les plus évidents. L’esthétique et l’aspect sonore jouent également beaucoup dans la balance. Et puis il est si peu fréquent de voir tant d’efforts déployés dans un titre qui ne suscitait pas d’attentes. Il faut dire que seuls quelques mois ont séparé son annonce de sa sortie. Mais s’amuse-t-on ici ? Était-il nécessaire de dépeindre cette aventure au travers d’un jeu vidéo ? Il est en tout cas certain que relativement peu sont ceux qui pourront répondre à cette interrogation avec tout le savoir requis. Au risque de faire dans la redondance, Deadly Premonition 2 ne s’offre pas. Il ne vous donnera pas toutes les clés si vous cherchez à l’avaler tout rond, en vous plaignant ensuite de ne pas comprendre le lien entre chaque élément du menu. À plusieurs reprises, des répliques non sous-titrées se découvriront à qui n’appuiera pas machinalement sur « A ». Dans d’autres situations, prendre le temps d’écouter, voire de lire, aidera également à mieux saisir certaines pièces du scénario. Ne nous le cachons pas : les temps de chargement rendus encore plus longs par la première mise à jour post-lancement cassent fréquemment le rythme du jeu. Par conséquent, encore plus que pour le premier Deadly Premonition, il ne serait pas illogique de vouloir très vite jeter l’éponge. Mais si un désir d’y revenir venait à se manifester, il faudrait alors y comprendre que vous avez été pris dans l’engrenage.

 

 

Deadly Premonition 2: A Blessing in Disguise ne devrait pas être considéré à l’aune de son prédécesseur dans une vaine recherche de revivre ce qui l’a rendu culte. Mais sa puissance sera diminuée si l’expérience du premier volet ne vous a pas frappé(e) de plein fouet. Doté d’une écriture rare voire unique, il risque par conséquent de séduire seulement si on lui laisse une chance, puis une autre. Touchant, énervant, génialement déstabilisant, tristement boitant, le titre de Toybox est tellement ce que les autres ne sont pas qu’il justifie son existence rien que pour cette raison. De toutes les façons, son créateur semblait déjà prêt à ne pas ouvrir une troisième enquête alors qu’il façonnait la seconde. Alors non, on ne lui pardonne décidément pas tout, mais Deadly Premonition 2 mérite clairement son étiquette de jeu miracle. Merci.

 

 

Deadly Premonition 2: A Blessing in Disguise
Simulateur d’enquête
Développé par TOYBOX inc., édité par Rising Star Games Ltd.
Disponible depuis le 10 juillet 2020 en France sur Switch.
Au plus bas à 39,99€ en magasin et à 49,99€ en téléchargement sur l’eShop (5 066 Mo).
Textes en français, allemand, anglais, espagnol, italien et japonais
PEGI 16.
(Testé sur une version physique commerciale.)