Nouvelle : Boomerang

Nous publions sur So What ? les nouvelles des 3 gagnants de notre concours de nouvelles n° 4, organisé avec notre partenaire les éditions Le Livre de Poche. Nous avons publié la nouvelle de Loïc Le Gros, Les histoires d’amour finissent mal. Voici celle de Thierry Harzallah : Boomerang. Bonne lecture !

 
Nouvelle : Boomerang
 
Cela avait commencé en Malaisie.

Un groupe de fanatiques avait créé une page sur les réseaux sociaux qui enjoignait au massacre du pangolin. On voyait en lui le Malin, celui par lequel le chaos était arrivé. Le symbole incarné de la malédiction qui frappait la planète.

Pareil au Covid-19, la bêtise s’était propagée dans le monde entier et bientôt des millions de personnes avaient rejoint le groupe. Le pangolin, dont l’absence totale d’agressivité tranchait avec cette haine féroce soudaine qu’on lui vouait, était devenu la cible d’hystériques ayant soif de vengeance. Pour autant, déjà en voie d’extinction, cela ne changea guère la destinée du pangolin, si ce n’est que cela l’accéléra. Le statut d’idole ou de banni préludait finalement à la même fin tragique.

Partout en Asie et en Afrique une traque à grande échelle avait été lancée. Le pangolin fut massacré, souvent avec une barbarie sans nom, au grand dam des organismes de protection de la nature. Les gouvernements des pays concernés étaient impuissants à stopper cette folie. Les massacres étaient filmés et partagés sur les réseaux sociaux, le pangolin, sacrifié sur l’autel de la bêtise humaine. Une vidéo récente montrait deux individus découpant et brûlant le pauvre animal. Les barbares se targuaient d’avoir tué le dernier de l’espèce.

Le WWF ne put malheureusement que constater le terrible constat. L’espèce avait bel et bien disparu.

*

Libreville, Gabon le 02/02/2022.

Le réveil se mit à sonner à 5 heures. Comme tous les matins, Dolorès se leva, prit un café à la hâte et sortit de chez elle. Elle arriva à 6 heures au Labo. Le Centre International de recherches médicales de Franceville (CIRMF) comptait environ 150 employés dont une cinquantaine de chercheurs. Dolorès y effectuait sa thèse en doctorat de biologie sur les coronavirus. Gabonaise par sa mère et Chilienne par son père. Elle avait choisi de venir en Afrique pour finir sa thèse, l’Amérique du Sud ne disposant pas de laboratoire classé P4. Celui de Libreville était l’un des deux seuls sur le continent africain. Un lieu sous haute surveillance où l’on manipulait les plus dangereux virus au monde.

Elle croisa quelques collègues qui en avaient terminé avec leur labeur. Ils avaient tous des mines déconfites, l’air hagard et renfrogné. Le rituel de l’habillement, comme chaque jour, lui prenait au moins 30 minutes. D’abord prendre une douche, puis revêtir le scaphandre ainsi qu’une tenue gonflée à l’air sous pression.

Une lassitude certaine transparaissait dans les gestes de chacun. Deux ans maintenant que tous s’activaient nuit et jour pour trouver ce vaccin. L’enjeu était colossal. Non seulement au point de vue humain mais aussi au point de vue économique. Depuis un an l’épidémie avait pris une toute autre tournure. Le virus avait muté et désormais les jeunes n’étaient plus épargnés. Nous en étions à la 7ème vague.

Le premier déconfinement fut un tel fiasco que la 2ème vague avait été redoutable. Plus d’un million de morts à l’échelle de la planète rien que pour le mois de juin 2020. Nombre de pays avait donc décidé de reconfiner la population. On évoluait depuis maintenant deux ans entre enfermement et semi-liberté. Le stop and go comme ils disaient dans les médias. La vie avait radicalement changé. On vivait en pointillé !

Des centaines de labos dans le monde s’étaient lancés dans une course frénétique pour trouver un vaccin. Tous n’étaient pas animés par des intentions philanthropiques : conscients que celui qui trouverait le remède serait non seulement le messie de l’humanité mais aussi le grand gagnant du jackpot ! Des milliards de vaccins à commercialiser, c’était le coup du siècle.

Dolorès se dirigea machinalement vers son poste de travail. Ce matin elle devait, comme chaque matin, examiner des centaines de boites de pétris, qui avaient été mise en culture pour en vérifier le génotypage. Depuis presque 2 ans elle multipliait les essais avec des molécules différentes dans des atmosphères et températures différentes. Autant d’essais qui, jusqu’alors, s’avéraient infructueux.

Mais ce matin-là, alors qu’elle examinait une des boites au microscope, elle manqua de tomber de sa chaise.

La pandémie du Covid-19 avaient accéléré les inégalités sociales et l’on mourrait maintenant plus de faim, de soif, des rixes quotidiennes ou de problèmes de santé divers, que du virus. Aux États Unis, la criminalité avait explosé. On usait du revolver à chaque fois que l’on pensait être dans son bon droit. Et les pénuries alimentaires dans les magasins se réglaient à coup de Glock ou de fusil à pompe. Partout dans le monde on assistait à bon nombre de réactions virulentes.

D’aucuns prônaient pour un changement radical du fonctionnement des sociétés et tentaient d’organiser le monde d’après. Dans leurs rangs on trouvait entre autre : des écologistes, des humanistes, des altermondialistes, des écrivains… Une centaine d’intellectuels, philosophes, artistes et quelques politiciens opportunistes étaient à l’origine d’un manifeste publié dans les colonnes du Monde sous le titre de « Manifeste des Enragés ». Celui-ci reprenait un paragraphe entier du manifeste de Jacques Roux de 1793, prônant une meilleure distribution des richesses et une amélioration de la condition sociale pour tous.

La plupart des gouvernements étaient totalement dépassés et une année avait suffi à leur faire perdre toute leur crédibilité. Hormis quelques pays scandinaves où la crise avait été gérée de façon exemplaire, les pouvoirs en place n’attiraient que défiance. Les décisions qui avaient été prises, parfois dénuées de bon sens, dictées par des intérêts douteux, avaient fini par mettre à mal la confiance entre le peuple et ses gouvernants.

Si bien que les mesures prisent par les chefs d’État étaient de moins en moins respectées et la répression et la coercition avaient remplacé la pseudo-pédagogie. Partout des couvre-feu étaient de mise et l’armée quadrillait les rues pour faire respecter les consignes. Certains chefs d’État radicaux prenaient des mesures folles. Dans certains pays, on allait jusqu’à abattre les gens, après somations, s’ils ne respectaient pas les mesures de confinement. Le monde entier enrageait.

Dolorès réajusta son œil sur l’œilleton du microscope, elle n’arrivait pas à le croire. Plus de traces d’agent pathogène dans le cytoplasme des cellules préalablement infectées. Elle contrôla d’autres échantillons dans d’autres boites qui étaient similaires. Toujours rien. Elle ne put s’empêcher de pousser un cri qui resta étouffé dans son scaphandre. Elle agitait les bras en l’air à l’instar d’un footballeur – accoutré pour jouer sur la lune – qui venait de marquer le but du siècle !

Elle sortit du « coffre-fort », comme ils appelaient le P4, passa le labo en dépression puis le sas de décontamination, pour arriver enfin au double sas des vestiaires. Une fois douchée et rhabillée, elle se dirigea à grand pas dans son bureau et alluma son ordinateur. Elle tapa le code pour retrouver le protocole PG 2222 qui correspondait à l’échantillon qu’elle avait observé.

L’essai avait été conduit sur les cellules d’un macaque auquel on avait inoculé le virus et prélevé des cellules infectées. On y avait ensuite introduit une protéine. Cette protéine avait non seulement détecté la présence de l’agent pathogène, mais elle avait également déclenché la production de molécules visant à l’éradication du gène pathogène.

L’humanité était enfin sauvée.

Dolorès couru vers Séréna, la directrice du service virologie, pour lui annoncer la nouvelle. Elle la trouva dans son bureau et commença à lui raconter tout ce qu’elle avait trouvé.

Séréna marqua un long silence et fini- par lui dire :

« – Une protéine, dites-vous ?
– Oui, elle agit comme un élément d’alerte. Lorsqu’elle détecte l’ADN étranger dans le cytoplasme, elle produit un interféron sous forme de molécules qui attaquent le virus pathogène.
– Et de quelle source provient cette protéine ? » demanda Serena.
« – Elle a été prélevée sur un tissu cellulaire de la rate d’un pangolin. »
 

Thierry Harzallah

Rédigé par

Marie-Aube

Rédactrice web et print indépendante depuis plus de 10 ans, auteure et blogueuse, passionnée par l’écriture. So What ? est mon blog, engagé, féminin, créatif, drôle et sérieux.