
Curtis LaForche est un bon représentant de la petite classe moyenne américaine. Son métier modeste lui permet toutefois d’offrir un train de vie confortable à sa famille, constituée d’une épouse aimante et d’une adorable petite fille, Hannah. Un seul souci : la surdité dont est atteinte la fillette. Toutefois, la mutuelle de Curtis va prendre en charge le coût de l’intervention permettant à Hannah de bénéficier d’un implant. C’est dans ce cadre familial paisible que Curtis commence à se sentir mal. En proie à de violents cauchemars le mettant en scène lui et les membres de sa famille, Curtis sombre progressivement dans un univers émaillé de visions apocalyptiques, d’hallucinations et d’angoisses. Tourmenté à l’idée qu’une catastrophe naturelle pourrait survenir et mettre en danger sa famille, il décide de construire un abri souterrain dans son jardin. Mais en voulant protéger les siens, Curtis les met progressivement en danger et sape l’édifice de sa propre existence…
Genre: drame
Nationalité: américaine
Durée: 2 heures
Récompenses: 9 prix dont Prix de la Critique internationale, Grand Prix de la Semaine de la Critique Cannes 2011, Grand Prix Deauville 2011.
Réalisateur et scénariste …………………….. Jeff Nichols
Michael Shannon …………………….. Curtis LaForche
Jessica Chastain …………………….. Samantha LaForche
Tova Stewart …………………….. Hannah LaForche
Shea Whigham …………………….. Dewart
Katy Mixon …………………….. Nat
Kathy Baker …………………….. Sarah
Ray McKinnon …………………….. Kyle
Lisa Gay Hamilton …………………….. Kendra
Psychose de l’Américain moyen ou Apocalypse de la middle-class ?
En premier lieu, merci à M. Nichols de nous avoir épargné tous les pénibles clichés associés à la psychose au cinéma, autant dans l’idée que dans la mise en scène.
On n’a peut-être jamais abordé la psychose, et en particulier la schizophrénie ou la paranoïa, en mettant en scène un personnage principal profondément bon, jamais en proie à des pulsions violentes et agressives. Curtis n’est pas le fameux « psychopathe » (le terme est malheureusement très souvent associé à celui de psychose au cinéma) que nous croisons à tout bout de film.
Animé par de bonnes intentions et profondément attaché aux siens, il ne met jamais en danger sa famille directement : pas de violences, pas de menaces. Le péril dans lequel il entraîne les siens est celui du déséquilibre, de la précarité, de l’incertitude des lendemains, lui qui était jusqu’alors le pilier inébranlable de sa famille. Du côté de Curtis comme de celui de son épouse, la famille est présentée comme une valeur essentielle mais également comme l’élément le plus propice à nous précipiter dans le gouffre.
S’il met les siens en danger, c’est pour vouloir trop les protéger, et c’est bien là que Nichols réussit à faire un film poignant. Curtis est juste un homme aimant qui soulève des montagnes pour sauver sa famille d’un danger qu’il croit bien réel.
En choisissant de filmer cette famille ordinaire et cet homme « comme les autres », Nichols donne une portée universelle à son film, qui n’en devient que plus bouleversant. Car « Take shelter » pourrait bien être la métaphore de ce que traverse la classe moyenne américaine aujourd’hui et par extension, tous les êtres humains que nous sommes. Le réalisateur aborde avec finesse les sujets qui nous réduisent à un état d’impuissance doublé de stupéfaction : catastrophes naturelles, fragilité des citoyens d’aujourd’hui, embarqués dans le circuit du crédit et des dettes sur fond de crise économique… Avec, en lot de consolation, des psychiatres aux sourires affables mais glacés au chevet d’une société rongée par l’angoisse.
Jeff Nichols filme magnifiquement les espaces extérieurs, cette famille et son personnage principal qui progressivement, semble se perdre dans un décor gigantesque. Écrasé par les éléments, l’immensité de la nature et son côté imprévisible, Curtis déploie tout ce qui lui reste d’énergie pour abriter sa famille d’une catastrophe. Étonnant Curtis LaForche qui garde suffisamment de distance par rapport à ses visions pour consulter un psychiatre, certainement pour protéger sa famille. Et qui, par ailleurs, la met matériellement en danger.
Michael Shannon, qui incarne Curtis, fait partie de ces rares acteurs très expressifs qui restent toujours d’une étonnante sobriété dans leur jeu. D’un regard, d’une mimique, il nous plonge au cœur du désarroi de son personnage mais aussi de son attachement profond à sa famille. Bouleversant du début à la fin du film, ce grand gaillard porte avec une étonnante justesse et de façon magistrale cet excellent film sur ses robustes épaules. Les autres comédiens sont également formidables et parfaitement dans leurs personnages (on revoit avec plaisir l’excellente Kathy Baker dans le rôle de la mère de Curtis).
La réalisation de Nichols est à l’image du jeu de ses acteurs : élégante. Il évite ainsi le mélo et les grands effets d’un cinéma racoleur qui nous oblige à sortir notre mouchoir. Sa description de l’aliénation mentale est crédible, angoissante, son sens de la métaphore puissant sans être lourd.
Take shelter est un film sur la psychose mais également sur la fin d’un monde : celui d’une classe moyenne américaine pas si aisée, travaillant dur sans broncher et porteuse de valeurs fortes. En 2012, le middle-class hero se réveille la nuit trempé de sueur glacée, accablé d’angoisses insurmontables. Curtis LaForche pourrait être le symbole d’une société prise dans un cauchemar paranoïaque, attendant, impuissante, une apocalypse imminente et inéluctable mais s’accrochant désespérément à la dernière certitude qui lui reste: sa famille. Et nourrissant un dernier rêve : la sauver.
Abriter les siens.